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ARTICLE PUBLIÉ dans Le CHOU Magazine en Juin 2021 – numéro 36 « Les savoirs oubliés »

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Nous traversons actuellement une période particulièrement « extra-ordinaire » et déstabilisante. La crise actuelle et l’imminence des dangers écologiques et climatiques ont fait ressurgir des tréfonds de notre inconscient collectif, ce grand dragon qu’est la peur de la mort et avec lui, le besoin abyssal de sens. Quelle qu’en soit l’échelle, qu’il s’agisse d’une crise existentielle mondiale comme celle qui sévit actuellement ou d’une crise plus intime et personnelle comme un deuil, une séparation, ou l’apparition d’une maladie dans notre vie, il s’agit toujours d’un même processus vivant, en mouvement. Les grands changements de notre vie nous confrontent à une évidence : la nécessité de notre propre transformation.

Ce moment où, comme le mot « crise » nous y invite (du grec krisis : action de choisir, de décider), nous nous trouvons face à une opportunité, à un choix, à une décision à prendre. C’est précisément là, à la croisée des chemins de notre vie, que les rites de passage prennent tout leur sens et s’accomplissent. Nous avons alors la possibilité de poser une action en conscience, en ouverture et en lien avec le monde vivant afin de retrouver le mouvement et la fluidité. Bien que parfois difficile à aborder pour les esprits rationnels, des thérapeutes de toutes pratiques ont pourtant depuis longtemps compris la dimension à la fois sociale, spirituelle et thérapeutique de ces rites de passage qui permettent de créer des ponts entre le monde visible et invisible, entre le monde physique et le monde du sens, entre un état de souffrance et un état de libération.

 

DE PETITES MORTS EN RENAISSANCES

 

Vie et transformation ne font qu’un. Notre seule réalité tangible étant celle de l’instant présent, nous pourrions nous définir comme des « élans » qui ont la possibilité de se réinventer à chaque instant. La vie s’écoule à travers nous, de petites morts en renaissances successives. Lorsqu’une petite fille entre dans ses cycles menstruels, elle devient une adolescente, le jour où elle enfante, elle devient une mère, le jour où elle traverse sa ménopause, elle entre dans son âge d’or… chacune de ces petites morts pouvant être perçue comme un entraînement à l’ultime grand passage. La nature vivante, à travers les changements permanents de notre corps, nous rappelle sans cesse à ces transformations et c’est bien de notre acceptation de ces petites morts et de ces renaissances successives que dépendent notre sérénité et notre réalisation. À chaque fois que nous luttons contre notre propre transformation, à chaque fois que la peur domine et que nous la refusons, voire la rejetons, c’est comme si nous mettions un barrage au milieu du fleuve. Nous créons un blocage, un nœud, nous allons contre la fluidité de la vie, l’énergie est bloquée, nous ne pouvons plus évoluer naturellement, nous sommes alors en souffrance. Chaque passage, chaque épreuve, sera donc l’opportunité d’un choix, d’une décision. Accepter de laisser mourir ce qui a besoin de l’être et de renaître dans la confiance ou refuser la transformation et rester cristallisé dans la peur. Nous pouvons parfois suspendre le temps, nous réfugier dans la douceur du non-agir mais inévitablement, la vie nous ramènera tôt ou tard à ce moment nécessaire d’humilité et d’acceptation. Ainsi le rite de passage nous entraîne à accepter de mourir pour mieux renaître.

 

LES RITES DE PASSAGE

 

De tous temps, les humains ont créé des rituels pour accompagner ces moments de transformation et d’évolution, pour faciliter ces passages et nous permettre de nous révéler à travers eux. Dans les sociétés anciennes et encore aujourd’hui dans certaines pratiques spirituelles, les rites de passage se font en lien avec les rythmes de la nature, sous l’œil et la protection d’un chaman bienveillant. Ils consistent à se frotter au réel au travers de pratiques parfois impressionnantes et à se relier à ce qui nous dépasse, au grand mystère, à la dimension divine et sacrée de la vie. Le rite est un sas, qui permet de passer d’un état à un autre. Il est un lieu et un espace sacré immensément symbolique qui permet une forme de renaissance, une opération alchimique, initiatique. Il est le lieu de la transmutation. Il est le passage entre ce que nous étions et ce que nous nous apprêtons à devenir. Il a pour fonction de transcender, c’est-à-dire de « passer à travers » le voile de nos représentations. Mourir à nos propres représentations pour renaître à une nouvelle représentation de soi. Les rituels liés à l’enfantement par exemple permettront à la future mère d’honorer et de laisser mourir sa représentation intérieure de jeune fille, pour renaître en ouverture à sa nouvelle réalité et ainsi préparer l’accueil de son enfant. Les rituels de deuil permettront d’accompagner le défunt vers sa renaissance et de renaître soi-même à une nouvelle réalité, dans laquelle cet être cher trouvera une nouvelle place.

Dans notre monde occidental, désacralisé, qui s’est bien trop souvent coupé de son lien premier et fondateur à la nature, nous pouvons avoir parfois la sensation d’être perdus et sans repères, pour traverser ces différents passages nécessaires à notre réalisation. Les pratiques sacrées et ancestrales ont souvent été victimes de cette perte de sens et ont ainsi perdu tout leur pouvoir symbolique. Noël par exemple, qui à l’origine permettait de célébrer le retour de la lumière et de l’espoir, après la longue nuit du solstice d’hiver, est devenue pour beaucoup une célébration de la consommation.

 

 

 

L’ É M E R G E N C E D U G R A N D D R A G O N , CE MONSTRE INTÉRIEUR

 

Coupé du sens profond des cycles naturels de la vie, les événements sont ainsi vécus à travers le filtre de l’ignorance et de la peur. Nous regardons nos drames, nos épreuves, comme des ennemis, comme un grand dragon, un monstre qui vient perturber le cours de nos vies et qu’il faut éradiquer. Les décisions que nous prenons trouvent alors leur source dans la peur. Nous restons ainsi figés, sidérés, coupés du mouvement naturel de la vie. Ce qui nous place généralement dans un état de grande souffrance. Or, si l’on s’intéresse au mot « monstre », on s’aperçoit que son étymologie vient de monstrare, qui signifie en latin « montrer, indiquer ». Il est également rattaché à moneo, qui signifie « avertir » et à monstrum, «  avertissement des dieux, prodiges  ». Ainsi le monstre est celui qui nous montre, qui nous avertit par son étrangeté d’un message divin. Il peut donc provoquer une profonde réflexion. Par lui naît l’occasion de notre propre évolution. Le Rite de passage sera ce lieu de la confrontation à nos peurs, à nos tristesses, à nos colères, à nos dragons ! Mais le rituel est un processus codé, structuré et sécurisé par un officiant bienveillant (un chaman, un prêtre, un thérapeute…) qui par son initiation et son expérience, nous aide à le préparer, à le concevoir, et nous accompagne parfois même dans la traversée du passage, en ouverture et en confiance. Toute personne s’étant engagée dans un cheminement thérapeutique sait à quel point l’ensemble du processus de la thérapie peut être considéré comme un rite de passage à part entière. Dans ce sens, un rituel peut être proposé par un thérapeute afin d’y déposer les représentations, les émotions et les croyances qui nous plongent dans la souffrance et ainsi renaître à un nouvel état d’être, apaisé et libéré.

 

LES RITUELS THÉRAPEUTIQUES

 

Rituels de deuil, de célébration, de libération de relations devenues toxiques, de certains traumas, de croyances,… Du simple petit rituel du matin à la véritable cérémonie, dans laquelle nous affrontons nos grands dragons… Autant d’êtres sur cette Terre, autant de rituels thérapeutiques possibles. Comme le peintre dispose de sa palette de couleur et le musicien de sa gamme, nous disposons tous des symboles nécessaires à notre propre renaissance. Ceux dont nous avons besoin pour traverser le passage.

Une jeune femme viendra lire une lettre sur la tombe de ses parents disparus, elle prononcera les paroles qui ont besoin d’être libérées… Elle brûlera la lettre et fera pénétrer doucement les cendres dans chaque interstice du tombeau, puis y sèmera quelques graines de ses fleurs préférées… Une mère en deuil ouvrira chaque jour, quelques minutes, la jolie boîte qu’elle cache comme un trésor au fond de son placard… Elle en sortira une photo de son bébé parti trop tôt, elle respirera le petit chausson de laine quelques instants, elle lui parlera peut-être, elle placera dans la boîte le petit doudou sur lequel elle vient de broder son prénom, puis refermera la boîte. Elle y retournera chaque jour, aussi longtemps que nécessaire… Un couple en souffrance, durant un cycle de lune complet, se retrouvera chaque jour pour se réinventer, ils créeront ensemble de nouvelles fondations pour leur union, ils poseront les bases de ce nouveau projet commun, prendront le temps de l’imaginer, de le rêver, de l’écrire et en poseront symboliquement la première pierre… Un homme, après des années de grandes souffrances et de dépression, choisira un jour de se relever, il préparera longuement cet événement… des mois durant… Il préparera soigneusement la liste des membres de sa famille qu’il choisit d’inviter et la liste de ses témoins présents pour le soutenir… Il écrira plusieurs fois cette lettre qu’il lira debout, face à tous. Il préparera une véritable cérémonie, dans laquelle il libérera SA parole, révélera les non-dits, les blessures qu’il a subies…Il dira enfin SA vérité à tous les êtres chers de sa vie. Puis il les remerciera tous de l’avoir écouté et il repartira ainsi, en homme libre…

 

Le rituel thérapeutique est une immersion dans le monde du sens et les symboles en sont le langage. En entrant dans ce passage, nous entrons dans un espace sacré, c’est-à-dire séparé du monde profane, un espace libre de notre ego que nous laissons à la porte derrière nous, pour entrer en pleine présence avec notre être profond. Cette part de nous-même, ce diamant brut qui est resté pur et intact, malgré les épreuves, les traumatismes, les colères, les peurs qui se sont accumulés, comme des voiles les uns au-dessus des autres, qui troublent notre vue et nous empêchent de retrouver le sens. Le rituel sera le lieu de la levée des voiles. En acceptant de regarder nos dragons bien en face, nous pourrons alors désamorcer leur pouvoir et leur influence. Soulever les voiles un par un, pour retrouver le lien avec notre enfant intérieur. Retrouver le lien avec cette joie pure d’être simplement en vie. Retrouver le sens. Par la réalisation d’actes symboliques, la révélation de paroles réparatrices et la libération des nondits, qui aideront à mettre une certaine distance entre soi et la représentation douloureuse de son vécu, le barrage au milieu du fleuve sera retiré et l’énergie libérée. Ainsi pourra reprendre l’écoulement naturel de la vie.

 

L E R I T U E L , U N A C T E  C R É A T E U R

 

Comme pour passer de l’Enfer au Paradis, il est nécessaire de traverser le Purgatoire, le rituel thérapeutique est ce passage au sein duquel nous nous purgeons de notre dragon intérieur. Nous le remercions de ce qu’il a permis de révéler pour enfin lui permettre de se dissoudre. Nous sommes alors libres de lui et il est libre de nous. Il est vrai que cette voie thérapeutique ne conviendra pas à tous, car elle nécessite un engagement profond, et parfois même pour certains rituels, un esprit aventureux et une audace toute particulière. Et bien que le rituel soit préparé et sécurisé dans le cadre thérapeutique, il n’en reste pas moins un lieu de grande création, au cœur duquel nous sommes pleinement acteurs de notre propre libération. C’est bien tout notre être que l’on engage dans le passage, c’est à nous et à nous seuls de dénouer les liens en souffrance et de choisir notre existence. En langage des oiseaux (la langue des alchimistes), l’espace « sacré », s’entendra bien « ça crée » et « la magie pour le passage » s’entendra : « l’âme agit pour le pas sage ».

 

RETOURNEMENT

 

En changeant de regard sur nos épreuves, nous avons la possibilité de nous créer, de nous réinventer, de prendre soin de nous et ainsi des autres. Trouver l’accord harmonieux entre le « Je » et le « Nous », trouver notre juste place dans ce monde, la juste tension de notre lien à la vie pour émettre notre juste vibration au cœur du monde vivant… Quelle belle aventure !